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Les paroles pour dire l’“Autre”.

par Albert S. Mianzoukouta

Abstract

What does  “di colore” or “extracomunitario” mean in Italian? It often happens to find them as “well-mannered” ways to call someone who is simply “Black”. The author thinks that, as language is the best way for knowing how people live and their expectations for the future, it also express their prejudices and closest fears: in fact these expressions carry a deeper meaning for their attempts of emarginating who could be rightly integrated in our “modern” society.

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Cela fait déjà quelques décennies: la société italienne se répète que l’immigration est un phénomène nouveau dans la Péninsule; que de pays d’émigration l’Italie s’est brusquement muée à son tour en pays d’immigration rejoignant en cela une réalité commune d’ailleurs à bien des pays d’Europe. La difficulté dans l’étude des phénomènes sociaux est dans leur datation: qui dira jamais, avec précision, quand commence un mouvement, une tendance et quand ils s’éteignent? Mais on peut, en suivant l’enrichissement du langage, pister cette évolution. Véritable carbone 14 social, les mots vivent et font vivre les réalités et les tendances, renvoient aux strates de vies et des époques. Ils traduisent aussi, et plus lumineusement encore, le substrat d’une société dans ses aspirations, ses angoisses, ses phobies...
Comment donc dire l’immigré  dans le vécu quotidien? Et que recèle ce dire?
A l’arrivée des premiers missionnaires dans nos contrées d’Afrique, plus d’une mère menaçait un enfant récalcitrant de le porter chez “l’homme blanc de la Mission”, terrorisant le bambin et le ramenant dans les rangs. Les soirs de vie ordinaire, dans les familles italiennes, menace-t-on les gosses de les porter chez l’uomo nero; chez “l’Albanais” du quartier s’il ne mangeait pas sa soupe?
Plus substantiellement la floraison des appellations, souvent négatives, surnoms et qualificatifs par lesquels l’Italien désigne l’immigré traduisent-ils la volonté de cantonnement d’une réalité d’avance “ghettoisée”, condamnée à ne pas sortir du cadre de cette négation? Dans un discours de contradiction, qui veut à la fois construire son intégration et repousser sa fusion – le multiculturalisme de la Nation italienne (et donc sa multiethnicité (1) ) – l’étranger qui ne veut plus l’être, est-il d’avance statufié dans un langage empruntant au négatif des mots pour dire ce qu’il est, ce qu’il doit être et ce qu’il ne sera jamais? Le langage sur l’étranger et la minorité visible prépare-t-il davantage à créer ce que Ribka Sibhatu appelle Il cittadino che non c’è (2)?

Les mots, le dire
Il n’est pas nécessaire d’insister davantage: les mots sont un vecteur puissant de comment une société se décrit et comment elle conçoit la place de chaque chose dans l’ordonnancement qu’est l’univers. Plus que tout autre, ils traduisent en effet la vision et la perception que l’on a de l’autre, de ce qui est différent, étranger, ami ou hostile. Chez le peuple kongo d’Afrique Centrale, le mot “vie” se dit “ventre” – Moyo. Tout comme la lignée, la descendance, le clan. C’est que sous la préoccupation première de sustentation de peuples souvent affamés, le ventre qui accueille le fruit de la quête essentielle est perçu comme le centre de l’homme, le réceptacle de l’alimentation – donc de la vie. Une partie du corps englobe ainsi par son appellation une fonction essentielle: la vie n’est pas le ventre ni le ventre la vie: le peuple Kongo retient la symbolique, et seule. Et bâtit sa cosmogonie, ses us et coutumes en conséquence: le mot y est vie.
A l’heure de la globalisation, elle-même fille d’un réseau de communications qui braque son faisceau sur tous les recoins de la terre, chaque réalité mérite d’être disséquée, cataloguée, désignée. La télévision y aide. Sa puissance de “catalogation” est telle que l’image qui s’incruste dans la mémoire évanescente de nos contemporains devient la réalité pure et simple. Au point que ce qui n’est pas montré à la télévision ou n’est pas repérable sur Internet n’existe tout simplement pas. La télévision nomme et montre, indique, désigne et même sanctionne; condamne ou sanctifie, et ses jugements sont sans appel. Or, rappelle Jacques Ellul (3) «il va de soi que voir et entendre sont inséparables et complémentaires, aucun développement humain ne peut se faire sans leur conjugaison. (…) L’opposition majeure est donc: Espace-Temps, et Réalité-Vérité. Et la tentation majeure de notre civilisation (liée à l’hégémonie technicienne) est la tentative de confusion entre réalité et vérité. Nous faire croire que le réel, c’est le vrai. La seule vérité».
Ellul tient ce propos en 1981. Nous n’étions pas encore conscients de l’avènement engourdissant du “Net”. A l’ombre de Timisoara, lieu de la fabrication du faux par les médias, les époux Ceaucescu semblaient alors des maîtres indéboulonnables de la vérité communiste. Saddam Hussein régnait lui aussi en maître absolu, en Irak. Et les Bush père et fils n’avaient aucune envie de lui trouver à tout prix des armes de destruction de masse. D’ailleurs aucune guerre ne lui était prédictible et toutes les télévisions qui se rendaient dans son pays magnifiaient la beauté des palais des khalifes et ignoraient les charniers de Babylone: la réalité était nette. Telle que nous la voulions et non-traversée du doute qui n’avait pas sa raison d’être dans un espace tout de safran et de senteurs d’orient. Nous étions dans un espace construit, propre et sans fioritures: les mots disaient ce que nous voulions entendre ou voir.
L’espace! La réalité de l’immigration se construit elle aussi dans un Espace qui deviendra Nation en fusion lorsque se parachève l’intégration. Et que la dilution des diversités se sentira assez de force pour se revendiquer comme sceau de qualité, et regarder ses origines et se reconnaître belle aux côtés des autres diversités elles aussi belles, forcément, le Calabrais ne se sentant pas supérieur au Piémontais, pas plus que le Ghanéen et le Congolais au sein de cet Espace-Nation où tous seraient Italiens. Ce discours n’est pas seulement un idéal; il est le contrat unique qu’offre la Nation en démocratie, tout autre étant démagogie ou terreau au racisme. Mais quel chemin pour y parvenir!
Et surtout, quel langage pour désigner ce qui est en mouvement et en “tension vers”, ou ce qui est parachevé dans la fusion en harmonie? La difficulté véritable pour dire l’immigré tient surtout à ce que nous voulons en faire et à ce que nous voulons voir en eux : un danger ? un atout ? un corps social appelé à se lier au tronc central ? une force èconomique ? ou tout cela ? Cette incertitude, ce “ni chez nous, ni chez eux” entretient les mots et les expressions qui, inconsciemment ou non, figent une réalité qui jouit pourtant de son dynamisme acquis. «Comment le mot entre-t-il (…) dans le processus de signification de l’histoire du sujet ou du groupe social? Comment entendre le mot comme autre et les mots de l’autre? Comment, dans un espace (4) politique, ne pas se laisser emporter par les mots?»(5).
Précisons tout de suite: ce propos de Bidima se rapporte à la palabre africaine, que le philosophe camerounais et expert en esthétique de l’art n’est pas loin de magnifier et de proposer comme modèle de sortie des crises. Notre propos est éloigné d’une telle démarche. La société italienne que nous décrivons n’est pas en crise avec ses immigrés; elle est seulement en recherche de langage. Mais la quête intellectuelle que recèle l’interrogation virevoltante de Bidima nous rejoint quelque part. Car elle résume la question à laquelle d’ailleurs cet article n’entend pas répondre en entier: comment dire l’immigré et désarmer, par prévention, les amoncellements qui risquent de servir plus tard de point d’appui à la xénophobie de demain?

Africano, Nero, Negro, Uomo di colore

Le propos de Sibhatu cité en infra comporte une suite. L’Erythréenne spécialiste de littérature orale et médiatrice interculturelle à la Mairie de Rome s’étonne, comme nous tous, de ce que l’Italien préfère nous désigner par des expressions périphériques et non par nos noms et prénoms, ou encore plus directement par la couleur. Si le monde comporte (une subdivision dans laquelle je n’ai pas été consulté!) des Noirs, des Rouges, des Jaunes et des Blancs et si les mélanges entre eux ont donné des “métis”, je ne m’offusquerai jamais de ce que l’on m’appelle “Noir”. Je le suis. Et hier, dans un contexte où l’audace pouvait se décliner aussi par le contre-pied d’une vérité que l’on voulait présenter comme “sale”, nos grands-pères dans la lutte de notre reconnaissance: Senghor, Césaire, Damas et Fanon, sont même allés jusqu’à nous revendiquer “Nègres de la Négritude” (auquel s’est ajouté le mythique « Black is beautiful » de nos frères aux Amériques). C’était un calicot de combat, à peine remis en cause par la “tigritude” (de combat lui aussi) que lui opposera plus tard le Nobel de littérature Nigérian Wolé Soyinka (« Le tigre ne proclame pas sa tigritude, il bondit sur sa proie et la dévore », a dit l’écrivain). Donc: Noir je suis; appelez-moi “Noir”!
Or, à la question: « pourquoi nous appelez-vous ‘di colore’ ? » la réponse que Sibhatu rapporte est étonnante et dramatique de double négation: « (…) abbiamo paura di offendere, è più caro “di colore” che “nero”». Et plus loin, un autre apporte le complément qui se veut plus “atténuant”, presque affectueux, pour compléter le tableau: «Sai… è un modo per non dire… come quando noi diciamo “anziano” e non “vecchio”»(6).
Cette explication nous situe au coeur du problème.
Car elle est généralement la plus avancée, et ignore qu’elle part d’une commisération de principe dans le regard qui se pose sur moi comme immigré. La parole pour me dire, véhicule d’emblée cette double négation: elle me nie l’existence et me nie ma parole; elle construit l’une et l’autre pour moi mais sans moi. Par “peur de blesser”, on se construit autour de l’immigré une image qui rassure ses propres peurs. L’étranger est évacué, estampillé à la fois du sceau de la pitié et de celui de qui n’existe pas (mais a-t-il seulement droit à l’existence?!!): «il est Noir, le pauvre; comme il en souffre!». Alors on recourt aux palliatifs qui dans la propre conscience et dans le propre entendement de celui qui n’est donc pas étranger – puisqu’étant chez lui – évacue l’étranger et l’installe dans la même niche que Fédor le chien ou Félix le chat, ou presque: soyez gentils et taisez-vous!
Sous-jacent à cette attitude (qui a l’avantage de laisser la conscience du désignateur libre de tout reproche) est aussi le désir de voir le désigné n’être jamais autre chose que ce qui est dit de lui, sans lui. De quoi d’ailleurs pourrait se plaindre le Noir qui se voit attribuer le vocable de Uomo di colore puisqu’on lui dit que «cela est plus sympathique – carino»? Pas de racisme, en tout cas. Raciste, moi! Allons, tu veux rire!
Certainement pas, non : fondée sur la commisération et la construction qui n’a de réalité que dans le regard et la bouche de celui qui désigne et non dans le langage de celui qui est désigné, cette situation conduit à une fluctuation lexicale qui ne peut ni toujours être positive – carino –, ni toujours prétendre s’entourer des précautions qui construisent la vie – le Moyo.
On sait que dans les échanges de courtoisie a toujours prévalu une logique qui reproduit – devrait reproduire – le scénario normal de qui accueille par rapport à qui est accueilli. Dans les civilités, les présentations ne se font-elles toujours sur le modèle de: “Je” m’appelle… qui précède inévitablement le “et Vous”?(7). Ce scénario social se fait sur la base d’une parité de statuts: la volonté de celui qui veut se faire connaître étant au moins égale en théorie à celle de celui qui veut connaître.
Ce schéma de communication met à égalité, dans le jeu de parole, les interlocuteurs qui veulent se présenter l’un à l’autre: la parole est tantôt à l’un, tantôt à l’autre: nous nous situons dans dialogue qui se construit sur le modèle du ‘je parle tu m’écoutes; tu parles, je t’écoute’. La sanction qui en découle est ce que j’appelle du “ciment social”: « Louis Mamadou, dites-vous? Mais je le connais… il me fut présenté à une fête de paroisse!».
Ici, rien de tel: tutoyement automatique; utilisation de périphrases freinent d’emblée cette perspective. Et en l’imite la qualité d’ouverture d’emblée. Il n’y a qu’un camp qui parle, désigne, décrète, met aux normes. Rien d’étonnant alors si les mots “neutres” s’effacent vite quand les temps se font durs ou deviennent autres. Car, comme dans l’exemple extrême du chien Fédor que j’invoquais plus haut, la “sympathie” votée automatiquement à l’immigré s’oublie tout aussi vite quand surviennent les méfaits de “ces gens là”. Le chien qui fait joujou avec son os en plastique restera Fédor tant qu’il montrera ses pattes à la demande; qu’il grogne seulement et montre ses crocs; qu’il aboie sans cause ou, a fortiori, morde le fils de famille même dans une attitude de défense et il devient le “vilain”, le “méchant”, la “vilaine bête”! Le langage change; les mots pour le désigner recrutent alors dans des registres repoussoirs.
Le morte di fame, l’immigrato, l’extracomunitario, le clandestino resurgissent. Sinon, dans la vie courante, c’est selon: “Vù-compra” au besoin; “Baluba” dans certains quartiers ou même…“Milingo”, appellations que j’ai été étonné d’entendre dans les propos de jeunes lycéens désignant leur camarade de classe, Noir.
Ceux que les sociologues appellent les “guides d’opinion” sont les premiers à s’engouffrer et/ou à ouvrir la cascade de l’incertitude lexicale, donnant une caution inconsciente à des mots que l’on répète à l’envi sans conscience qu’ils peuvent blesser. Un mot en appelant un autre, on arrive à désigner par des imprécisions frustrantes et générales une réalité qui perd ses formes et ses spécificités pour se diluer dans un no man’s land où des êtres de chair ne sont plus que des “ils”: «“ils” viennent nous voler notre travail», «nos femmes»; «hanno sbarcati a 300 a Lampedusa»! Ou alors, comme cela arrive parfois dans nos paroisses, nous redevenons parés de vertus généreuses toute aussi exagérées et générales; vertus ataviques héritées de nos lointaines et pauvres contrées – «ils dansaient pieds nus devant nous, mais quelle dignité dans le regard!», propos d’un vieux missionnaire (8).
Encore une fois, comment se révolter contre des propos qui n’ont rien d’agressif dans l’intention, et sont prononcées par des personnes-ressources chez qui il ne viendrait à l’idée de personne de trouver un quelconque ostracisme ! Comment se révolter contre un confrère avec qui on anime un débat sur l’Erythrée et qui vous présente: «Le confrère à ma gauche est, en Italie, parmi les hommes de couleur qui…». Cela se veut une délicatesse. Alors délicatesse pour délicatesse, c’est à son tour de se gêner, de ne pas froisser le spécialiste italien généreux de connaissance sur l’Afrique et dont les contusions visibles, morales ou physiques, témoignent plus que des mots, qu’il en a bavé chez les “hommes de couleur” dont il défend la cause avec encore plus d’âpreté que tous les colorés réunis! On se fait tout petit; on boit la lie de cet hommage avec son fiel. Alors incriminé fleurira dans son univers de cactus : il a reçu son label-caution du “politiquement correct”.
Le lendemain la télévision, la radio, les journaux parleront des “hommes de couleur” avec la quiète satisfaction d’avoir enfin résolu l’énigme d’un embarras de vocabulaire: nous ne savons pas d’où ils viennent («Mon Dieu! que ton nom est difficile à prononcer! Excuse-moi mais c’est pas un nom pour moi ça!»), mais nous savons comment les appeler: “des hommes de couleur”!
La répétition de mots et expressions qui heurtent mais repris par ceux que l’on ne peut soupçonner d’être des racistes, “académise” peu à peu les formes de nous dire et de nous voir. «Si tout le monde fait toujours la même erreur, à quoi ça sert de s’obstiner? On s’ajuste (9)» . S’ajuster! Le mot est terrible, car sa racisme interdit tout soupçon: ajuster c’est redresser ce qui était tordu, qui provoquait du tort; c’est sanctionner pour le bien; adopter, normaliser, donner à prendre comme référent, citer en bien. Certes, l’homme de théâtre canadien Jean-Claude Germain de qui sont ces propos parlait surtout dans le contexte de la simplification ou non de l’orthographe française au Québec, une province très sourcilleuse sur la question de sa langue. N’est-elle pas celle qui, parlant justement de ses immigrés, a sorti la belle trouvaille de la “minorité visible”, plutôt que de s’empêtrer dans les désignations impropres des palettes de l’arc-en-ciel ? Mais le combat des Québécois se fait aussi autour de la guerre des mots (10); il y est aussi question de comment dire les choses et les êtres. Ce qui nous ramène donc à notre propos.
Ce que l’expression Uomo di colore véhicule, ce sont des non-dits bruyants; suggestions que les sujets parlants sont sans couleur (et donc purs de race) et les sujets dont on parle souillés par des macules à la naissance. Je n’ose pas reproduire ici ce pamphlet anonyme sur qui de nous change de couleurs à la naissance, devant la peur, la gêne, le froid, la chaleur ou à la mort… L’expression Uomo di colore endosse et fait endosser de force à celui qui la prononce la fausse qu’une race sans couleur peut désigner tous les autres humains ; les sont colorés. Il y a une prétention inacceptable, une injustice et une erreur à la base! C’est, même sans le savoir, ramener une race à l’origine de la création et faire des autres des ersatz à peine acceptables (« L’homme donna des noms à tous les bestiaux », dit la Genèse (Gn. 1, 20). Ne sommes-nous pas inclus dans « l’homme » ?).
Extracomunitario? L’expression renvoie elle aussi à une réalité commode. En  Italie existent ceux qui sont “dedans” et ceux qui son “hors” de l’Union Européenne. Mais l’expression, partie du constat de non-appartenance à une communauté qui se veut celle des Européens, sanctionne-t-elle l’état de ceux qui n’en font pas encore partie ou de ceux qui n’en feront jamais partie? Est-il difficile de constater que dans un groupe de Roumains, Américains, Albanais et Nigérians, il est fort probable que l’expression désigne les deux derniers du groupe plutôt que les deux premiers?(11). Parce que la désignation par les couleurs, induit une reconnaissance de facto de la nature “d’extra”. Ce que Roberto Calderoli, de la Ligue du Nord, a formidablement décrit après la Coupe du Monde en soulignant que l’équipe de France, multi-colorée, ne pouvait pas gagner la Coupe du Monde devant une Italie “aryenne”; qu’une équipe de football composée de sous-hommes ne fait pas le poids devant les purs: les « hommes de couleur » ne font pas le poids devant les Blancs (et si en plus ces sous-hommes sont des violents sur le terrain, à l’instar du franco-algérien Zinédine Zidane ayant asséné son coup de tête fameux à l’Italien Marco Materazzi lors de cette finale de la Coupe du Monde, le 09 juillet 2006, alors c’est le bouquet!) (12).
La neutralité apparente de l’expression Extracomunitario se perd bien vite devant des faits de société. En effet, il n’y a pas à parier qu’entre deux malfaiteurs américain blanc (oui, il y en a!) et nigérian, tous deux “extracommunautaires” par définition, le méfait sera d’abord rattaché au Nigérian, l’extracomunitario par faciès. On n’ose à peine suggérer qu’il peut existes des Nigérians blancs, comme il y a des Américains noirs !
La force des mots, de leur répétition, conduisent donc à installer définitivement l’image d’une réalité qui bouge mais que les mots retiennent en position figée. Et négative. Ce qui conduit à ce que le Censi appelle le Ghetto della cronaca (13). «Confinate nei telegiornali e, all’interno di questi, nella cronaca, le persone di origine straniera entrano nel mondo dell’informazione solo attraverso le maglie della cronaca nera» souligne l’Institut de sondage (14) dans dans une enquête menée dans le cadre de son initiative Immigrati in ‘Italia: Per un immagine libera da stereotipi e pregiudizi’ (15).
De sorte que l’on accélère en freinant: on parle d’intégration souhaitée, mais on use de mots qui ne la favorisent pas et la retardent.
La presse fournille d’anecdotes bizarres: on signale un hold-up dans une banque, et l’arrestation consécutive des gangsters par les carabiniers. «Les deux hommes s’étaient barricadés dans un appartement à Monte-Sacro. Il s’agit de pregiudicati…». Traduisez: les deux malfaiteurs étaient des Italiens. Blancs. Car pour tous les autres, la nationalité est tout de suite mise en avant (“Roumains”, “Polonais” etc…), mais surtout leur “qualité” d’extra-communautaire. Les hommes, on le sait, peuvent être des malfaiteurs mais les extracommunautaires, eux, sont forcément toujours des malfaiteurs. Un petit peu ou tout à fait.
C’est le syllogisme muet que les mots transporsent dans une société italienne qui cherche à dire sa réalité de tous les jours. Des mots qui parlent de nous sans nous, mais que l’usage peu à peu impose jusqu’à nos enfants pour nous revenir, tel un boomerang, comme une insultante et inconsciente gifle. Car, combien de parents seulement ont été horrifiés d’entendre leurs enfants parler, eux aussi, «d’“hommes de couleur” aperçus entrain de rôder dans le quartier»! C’est dangereux, un “homme de couleur”, maman?

Albert S. Mianzoukouta, docteur en Sciences de la Communication de l’Université de Paris II, journaliste à Radio Vatican depuis 15 ans et enseignant des Sciences de la Communication de l’Université de Brazzaville

1 - Cfr. Propos de Marcello Pera, Président du Sénat, en 2004: «Je ne veux pas d’une Italie multiculturelle».
2 - «A Roma, quando spesso sentivo usare il termine “di colore”, per indicare un africano, o comunque un non-bianco, ero a disagio. Mi chiedevo perché prima di tutto una persona venisse identifica con il suo colore e non con il suo nome o con il suo paese di origine. Quando ne chiedevo spiegazione alla gente che conoscevo, alcuni mi dicevano: “Sai… diciamo… perché abbiamo paura di offendere…”». Sibhatu (R), Il cittadino che non c’è, l’immigrazione nei media italiani, Editions EDUP, Rome 2004, p. 24.
3 - Jacques Ellul, La parole humiliée, Editions du Seuil, Paris 1981, p. 31.
4 - C’est nous qui écrivons en gras.
5 - Jean-Godefroy Bidima, La Palabre, une juridiction de la parole, Editions Michalon, Paris 1997, p. 9.
6 - Ibid., p. 24.
7 - La propension agaçante de la rue italienne à décréter le “tu” chez l’étranger et, d’une manière générale, à qui appartient à une classe sociale jugée d’emblée inférieure, entrant d’ailleurs dans la logique contraire de ce constat!
8 - «L’ex Zaïre può vantare esempi di convivenza pacifica tra etnie diverse, sia per religione che per lingua, come ci racconta padre Jacques Ilunga, uno dei primi sacerdoti di colore cui è stata assegnata una parrocchia in Italia, a Prato, in Toscana» – Cfr.: “Speranze e Timori nella Repubblica democratica del Congo, tra guerre, drammi sociali e immense ricchezze naturali ed umani”, in Radio Giornale de la Radio Vaticane, 01er septembre 2006.
9 - Jean-Claude Germain (Cfr. Cité par Michel Rioux: “L’ortografe (sic) en question”, in La Force des mots, n. 15, p. 8)
10 - Même si le même Jean-Claude Germain refuse «de mourir pour le “ph” de “pharmacie”»! Ibid.
11 - Je me souviendrai toujours de mes premiers jours en Italie. L’employée de banque qui remplissait mon formulaire d’ouverture de compte me demandait mes généralités qu’elle rapportait au fur et à mesure sur le module. Mais elle marqua une pause à l’endroit “Nationalité”. Puis, me regardant droit dans les yeux, elle conclut: «ovviamente lei non è Italiano?». La couleur de ma peau avait suffi à lui faire deviner – juste – la qualité de mon passeport, et me faire estampiller “Non-Italien” Parce que: Italien = Blanc.
12 - «… A ben vedere si tratta di chiacchiere, di pillole filosofiche che danno alla testa, sintetizzate nel mantra casereccio del leghista Calderoni: “negri, islamici, comunisti”. Rappresentante sbrigativo e guascone di tanti paludati intellettuali, Calderoni ha il segreto della vittoria ed i motivi della sconfitta, in campo come nella vita: una squadra di bianchi vince, una squadra “arcobaleno” perde». Gianromano Gnesotto,“La Filosofia della testata”, in L’Emigrato, n. 103, p. 3.
13 - CENSI, L’immagine degli immigrati in Italia tra media, società civile e mondo del lavoro – CONFINATI DENTRO IL GHETTO DELLA CRONACA, Enquête, Novembre 2002.
14 - Ibid.
15 - Initiative présentée à Rome le 28 novembre 2002 et réalisée conjointement par l’Organisation internationale pour les Migrations, la Caritas diocésaine de Rome, les Service des archives de l’Immigration avec l’aide du Projet Equal de l’Union Européenne et du ministère italien du Travail et des Politiques sociales.